Dans la cabine enfumée, une pellicule super seize foutue. Une journée de taf à la poubelle. L’assistant de Wizkid me sert un rhum on the rocks. On trinque. Je serre les dents.
Le temps d’un café dans mon quartier préféré, vers le Canal Saint-Martin, Gabriel 1999 me parle de ses vidéos de bateaux échoués et d’étés expatriés. Je lui tends un billet; il réapparaît avec deux flat white. On s’assoit.
Éduqué rive gauche par une mère documentariste et un père photographe, le vidéaste passait ses vacances à Rio de Janeiro, selon lui la plus belle ville sur Terre. Les boucles en bataille, le français-brasileiro est ravissant, si bien que mes copines m’ont demandé de m’assister à l’interview. Est-il célib? Aucune idée. Mais voilà son Insta.
On oublie jamais le premier
“Une GoPro. Au lycée, on allait dans des chantiers, dans des bâtiments en travaux, pour squatter, monter au dernier étage sur les toits, je filmais tout ça. Ensuite, mes parents m’ont dit qu’ils avaient une caméra miniDV, ‘Nah, mais elle est nulle, c’est début année 2000.’
“Moi, j’étais déjà fan des trucs un peu lo-fi, VHS, et du coup j’ai pris la caméra et j’ai trop kiffé. Pendant mes vacances au Brésil je la sortais tout le temps tout le temps tout le temps. J’ai commencé à faire des montages, à mettre sur mon Insta. Mais les gens ne comprenaient pas trop. Personne à rive gauche ne faisait des trucs très créatifs.”
A river runs through it
“Rive droite est beaucoup plus forte culturellement que rive gauche. Toutes les grosses marques, c’est rive droite. Tous les gens qui font la culture, parisienne et mondiale, c’est rive droite. T’as déjà de gens au lycée qui sont des vraies reusta, qui s’habillent archi-bien, qui font de la musique. J’avoue que ce n’est pas trop l’entourage qui m’a amené à la photo, à la vidéo. On se disait, personne ne nous a influencé à faire tout ça parce qu’on trainait personne qui faisait de la photo, la vidéo, les sappes de ouf. C’est quand même dur de sortir de ce truc là, rive gauche, je trouve. De commencer à fuck with les gens rive droite.”
Chez lui, à Montparnasse
“Mon père, avant il était artistic director, en freelance. Il y a cinq, six ans, il a commencé à faire de la photo de son côté. Un jour il avait un projet pour un client, Issey Miyake. Le photographe était malade, et du coup il cherchait un autre photographe. Mon père leur a dit, ‘Si vous voulez, je commence la photo, je peux essayer.’
“Il a fait un bête de taff. Alors qu’il avait 45 piges—il a commencé comme us, tu vois. Maintenant il fait des trucs pour Chanel, Dior, Issey Miyake, Marc Jacobs. Il a sorti un livre de photos. Il y a des billboards avec des photos de lui dans la rue.
“Ma mère faisait des documentaires. Mes deux parents n’ont jamais été salariés, ils n’ont jamais fait de nine to five. Il y avait des années quand c’était unstable as fuck. Je crois que ça m’a influencé, que c’était largement possible de pas avoir un nine to five. C’est pour ça que j’suis en freelance déjà. Depuis deux mois.”
Être vidéaste en contrat avec 99GINGER, qui selon The Face organise the best parties in Paris
“Quand je filme les soirées, il faut vraiment que je sois dans la vibe de la soirée. Faut pas que je sente que je travaille. Sinon la vidéo n’est pas bien. Je bois, je fume, je kiffe la soirée. Mais j’avoue que j’essaie un peu de m’éloigner de filmer des soirées. J’ai peur que ça m’enferme dans un truc. Que tout le monde m’appelle que pour ça. Alors que moi, en vrai, je veux faire des campagnes, des trucs de mode, des clips.”
Sa prédilection pour les cassettes
“Franchement toutes mes références c’est ça. Joy Divizn, main influence. PINKFLAMINGOUSA. AWGE, tu connais? Le label de A$AP Rocky. AWGE DVD, ils filmaient pleins de rappeurs en VHS et après ils faisaient des films d’une heure. À 14, 15 ans, j’aimais trop l’image. Et encore aujourd’hui ça me fait trop kiffer.
“J’aime pas les trucs digitaux. Je trouve ça lame. Je vraiment trouve ça lame. Dans tous les trucs que je kiffe, il y a de la nostalgie. Et j’y reviens de plus en plus. Au début j’étais miniDV, après ça VHS, et là j’suis à super huit. En pellicule. Des trucs des seventies. Et là je tourne un clip en seize millimetres, en super seize. Il va sortir bientôt.
“Je ne trouve pas qu’avoir une meilleure qualité veut dire avoir un meilleur contenu. Le grain, en VHS les couleurs sont plus belles je trouve. Plus pures. Je ne peux pas l’expliquer. Les trucs de mauvaise qualité, j’aime trop…hyper authentique.”
Ses projets préférés
“Un pote à moi a une marque qui s’appelle Better Days Ahead. C’est un poto, on pars souvent en vacances au même endroit, l’île de Patmos en Grèce. Un été il me dit, vas-y, on shoot un truc là-bas. C’est tourné en super huit, dans un cimetière de bateaux. Je trouve ça hyper beau. Ça m’a un peu mis en mode je sais ce que c’est mon style maintenant. Très poétique, très implicite. Coucher de soleil.”
Et pareil j’ai fait une campagne pour Sergio Tacchini, à Monaco sur le terrain de tennis de Monte-Carlo. J’avais filmé en seize millimetres, et toute la pellicule a baisée, morte. Heureusement j’avais filmé en super huit, pour doubler, et j’ai fait la campagne en super huit qui est archi-bien aussi. Voilà. C’est des risques. C’est triste. C’est la contrepartie. Ça fait partie du jeu…il faut l’accepter.”
Ses recs sur Parigi
“Pour manger: Paper Boy, dans le 11e. Pour boire un verre: la Chope des Artistes. Tous les gens les plus importants de la culture parisienne, des gens archi-placés. Pour sortir: un 99GINGER party. Mais un bon club à Paris, le Pamela c’est pas mal, le Silencio c’est bien aussi. Mais les videurs me détestent là. Ils se souviennent de ma tête. Quand on organise avec 99, ils n’ont pas le choix de me laisser entrer, du coup ils sont trop énervés. De qu’ils aient l’occasion de me parler mal…un truc d’ouf. Le Sacré c’est cool aussi.”
Une anecdote romanesque
“En gros, à la Fête de la Musique, j’ai rencontré une meuf. On a passé la soirée ensemble. On est tombé en scooter, un accident. Des gens nous ont aidé à nous relever. Et un des mecs qui l’a aidé a volé son tel. Le lendemain, sa mère localise son tel, dans une cité, genre the ends, tu vois, vraiment le quartier chaud. Bah, vas-y, on y va. Une cité de 25 étages. On cherche un peu, on toque. Impossible évidemment de trouver le téléphone.
“La meuf, au moment où elle se barre, il y a le manageur de Wizkid qui m’appelle. J’avais jamais bossé avec lui, encore.
‘Ouais…on a besoin d’un mec qui filme pour la Fashion Week. Est-ce que tu peux venir à son jet privé?’
“Je me suis pas douché, encore en hangover, je vais à l’aéroport. Ils arrivent, on va à son hotel. J’ai fini le soir au George V, le plus bel hôtel de Paris, à dîner à la table de Wizkid et Naomi Campbell. Après j’ai suivi Wizkid pendant quatre jours, à tous les défilés, de Dior, Rick Owens, Louis Vuitton, à son hotel, dans des restos. Et là du coup il m’a rappelé pour filmer un show à Bercy. La plus grande salle de Paris. 10.000 places. Immense. Ça c'était trop bien aussi.
“Mais pareil, je n’ai pas posté. Si c’est pas un truc que je trouve dope…”